Souvenirs, souvenirs . . .

Né en 1945 à Menton, mes parents s’installent à Antibes dès 1946 pour y créer un magasin d’antiquités au rez de chaussée de l’immeuble dans lequel nous habitions. L’endroit est stratégique. Tout se passait devant à l’angle des rues Aubernon et Georges Clémenceau. Face à la mairie et au marché provençal, à deux pas de la cathédrale voisine du Château Grimaldi, qui deviendra le musée Picasso.
Le Port à deux cents mètres où je passe le plus clair de mon temps libre, faussant compagnie à la vigilance de ma mère pour y aller braconner tout ce qui bouge sous l’eau. C’est pour moi l’appel de la mer et de la liberté.

A cette époque on vivait un véritable bouleversement. La guerre était déjà oubliée, la côte d’azur venait de naître et Antibes Juan les pins était le centre d’intérêt artistique et culturel non seulement de la région mais de toute la France et même bien au-delà.

Antibes était un lieu magique par l’influence Gréco-romaine et ces hommes qui lui ont donné l’aura qu’est la sienne.
Parmi nos voisins, vite devenus des amis, se trouvait Nicolas de Staël et Jacques Prévert qui agrémentaient toutes nos soirées…
Rapidement d’autres relations amicales étaient crées auprès de personnages célèbres résidents aux alentours. Je tiens tout d’abord à rendre hommage au plus important d’entre eux : Pablo Picasso.

Il habitait Mougins et se rendait quotidiennement à Antibes pour aller peindre dans son atelier installé dans une des ailes encore praticable du château Grimaldi gracieusement mis à sa disposition par son ancien propriétaire M. Dore de la Souchère. En effet au départ de l’occupant en 1944 il avait été partiellement détruit.

Picasso possédait une Rolls Royce mais n’aimait pas conduire. C’est donc sa sœur qui venait d’acquérir une 4 CV Renault nouvellement crée et qui émerveillait le maître. Elle le conduisait et le déposait en bas de notre rue Clemenceau. Chaque jour donc il rendait visite à mon père qui connaissait énormément de choses qui l’enchantaient. Et chaque fois il ne pouvait s’empêcher d’acheter même de simples objets pour les peindre et qu’il fallait lui livrer rapidement. Il était un peu capricieux il faut dire.
En ces temps-là les soirées étaient monotones, je préférais dessiner plutôt de jouer au Monopoly. Mon père avait décelé en moi le goût pour le dessin et les aptitudes pour cela. Ainsi tous les soirs après le diner il sortait la boite de peintures, une vraie de professionnel en bois, qu’il m’avait offerte pour m’encourager et m’inciter à persévérer.

L’étincelle

Un soir de 1951, j’avais six ans, il me fit reproduire deux dessins de Picasso représentant un jeune homme dévêtu menant un cheval à l’abreuvoir.
Le lendemain il montra le dessin au maître. Celui-ci reconnut ses esquisses et pensa que cet exercice de « faussaire » était l’œuvre de mon père. « Mais non » dit-il, « c’est le petit qui l’a fait ! »

Picasso surpris compte tenu de mon jeune âge emprunta un stylo bille sur le bureau et nota 10 / 10. Mon père malicieusement lui rétorqua que lui aussi aurait très bien pu écrire cela. Picasso sourit, marqua un petit temps d’arrêt et signa mon dessin. Il faut savoir que Picasso ne signait jamais son courrier qu’il laissait faire à son épouse, ni même les chèques de ses emplettes, persuadé que sa signature avait plus de valeur que le montant de l’achat. Picasso était pour nous un ami très proche et très sincère de la famille.
Parmi les autres amis célèbres qui venaient nous rendre visite, il y eut aussi Jean Cocteau qui m’offrit la même année deux dessins dédicacés.

Il suppliait mon père d’accepter de lui vendre sa « Mandragore » qu’il avait trouvée lors de fouilles et dont j’ai hérité. Je la conserve jalousement et un peu secrètement pour entretenir le mystère et le mythe.

Il y avait aussi d’autres personnages comme Sydney Bechet et Claude Luter qui séjournaient 6 mois de l’année à Juan les Pins ainsi que Gary Cooper, Mistinguett et bien d’autres. En 1958 mes parents décidèrent de quitter Antibes où nous vivions une existence fabuleuse afin de se rapprocher de leurs familles respectives vieillissantes.
Je vécu ce dépaysement comme un véritable drame. Je me rends compte aujourd’hui d’avoir eu l’honneur et l’avantage sans le savoir d’être un témoin privilégié de cette période.

Le déclic

A notre arrivé à Menton en 1958, dans la souffrance que je viens d’évoquer, je devais me faire de nouveaux amis. Un dimanche, lors d’une séance de cinéma, j’ai eu une véritable révélation. Le lendemain j’achetais en cachette, pour je ne sais quelle raison, cinq tubes de peinture à huile comme les vrais peintres : les trois couleurs primaires, un blanc et un noir. Je réalisais ma première « huile ». Curieusement, surtout pour un premier essai, elle représentait un portrait dans un style résolument Picassien. Depuis je n’ai eu de cesse de m’intéresser au traité de la chair. La décision de devenir peintre était prise. Il me fallut attendre désespérément mes seize ans, l’âge minimum requis pour pouvoir intégrer l’école Nationale des Arts décoratifs en 1961. J’y ai suivi les cours jusqu’en 1966.

En ce temps il n’était pas facile de faire accepter ce genre de choix de direction aux parents. En ce qui me concerne je n’ai eu aucune difficulté. J’étais trop rêveur pour prétendre faire de hautes études.
De plus il y avait dans ma famille des antécédents qui prêchaient en ma faveur et qui m’ont peut-être prédisposé à la vie artistique. Mon arrière grand-père était sculpteur. Ma tante, Jeanne Weber qui demeurait à Nice était peintre. J’avais aussi un cousin germain, Emile Marzé, peintre également et Lauréat du grand Prix de la Biennale de Paris 1955 qui faisait de lui le peintre Français de référence à cette époque-là.

Je suis un être passionné et donc curieux peut-être un peu éparpillé qui a sans cesse besoin de multiples activités.
Parallèlement à la peinture j’ai aussi été un sportif :
– l’aviron pratiqué en compétition à haut niveau pendant vingt ans avant de devenir entraineur fédéral 3e degré. J’y ai été champion de France en 1966 – 1967. J’ai remporté la coupe de France en 1970 et 1971.
– le sport automobile en Rallye notamment sur des Alpines Renault et même en monoplace de Formule 3.
– le yachting à bord de voiliers de tradition en bois que j’ai plaisir à restaurer et faire régater.

Yves Bosio est marié avec Marie Laure depuis 1974. Ensemble ils ont eu trois enfants : Delphine, Yann, Mathieu. Parallèlement à la peinture, ils ont exploité un commerce d’antiquités de marine plus exactement et tenu par Marie Laure, sur la charmante place aux herbes à Menton. En 2007 l’établissement élargira l’activité en « Bar à vins restaurant – LA MADRAGORE » Aujourd’hui la MADRAGORE est un endroit apprécié et incontournable à Menton et géré à présent par Yann.